Au dernier forum « la santé à cœur ouvert », le généticien Axel Khan rappelait que si la loi handicap de 2005 avait créé « les conditions de l'égalité des chances et des droits », beaucoup restait à faire pour les « 9 à 12 millions d'[aidants non professionnels] en France sans lesquels plus rien ne marche ». Il plaidait pour en finir avec « une approche sacrificielle » du statut d'aidant et une « reprofessionnalisation » du soin. La loi de 2009 portant sur la réforme de l'hôpital relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a facilité la prise en charge et donc l'accès à la formation des aidants familiaux. Mais ce regain d'intérêt des politiques publiques envers les aidants a par ailleurs mis à jour, grâce à des outils d'évaluation, leurs difficultés à estimer leurs besoins individuels (rapport CNSA/Eneis Conseil, 2015). Celles-ci reposent sur « la peur d'activer des dispositifs supplémentaires de prise en charge de la personne aidée » (refus de l'institutionnalisation) (Campeon et al., 2013), « le sentiment de honte, de culpabilité voire de déni par rapport à la maladie ou au handicap de la personne aidée » ou encore la crainte de se retrouver seul (SGMAP, 2015).

Ces considérations sont tout particulièrement illustrées par nos recherches sémantiques et discursives sur le vécu des aidants de personnes souffrant d'Alzheimer[1]. Afin d'étudier ces nouveaux questionnements sociopolitiques, nous proposons de les analyser à partir de témoignages des aidants eux-mêmes pour tenter de les faire sortir de la situation complexe d'« acteurs faibles » (Payet, Giuliani & Laforgue 2008), victimes de « processus d'affaiblissement et de renforcement d'individus socialement disqualifiés qui s'y trament ». Autrement dit, nous avançons l'hypothèse que l'aidant serait pris dans le piège de plusieurs représentations en conflit ou paradoxales qui interagissent dans la conception de leur propre rôle auprès du malade, au-delà de leur désir et de leur capacité. Nous cherchons par conséquent à faciliter la compréhension des réticences que les aidants peuvent éprouver à faire valoir leurs droits et leurs besoins d'accompagnement, et à faire ressortir l'ambivalence de leur place dans la relation de soin.

Cette recherche est interdisciplinaire, elle réunit des universitaires des SHS, professionnels et acteurs de la société civile, avec la préoccupation de s'inscrire dans les problématiques actuelles de la dépendance. Elle repose sur deux types de corpus : 25 entretiens avec des aidants familiaux et des productions de l'espace public (corpus de presse, corpus de recommandations ministérielles aux professionnels et aux aidants et discours des grandes associations du domaine). Elle s'inscrit dans une analyse linguistique du discours (Galatanu 2018) qui, travaillant sur les discours de la santé, interroge systématiquement, et au-delà du seul questionnement éthique, leurs formes et modalités d'intervention sur le terrain de la santé, leur place et leur rôle vis-à-vis des professionnels de la santé, des patients et des proches ou aidants. Elle devrait, en ce sens, être à même de mettre au jour des dits et des non-dits pertinents pour chacun des acteurs impliqués.

Eléments bibliographiques : Anquetil, S. (dir.) 2018. « Les procédés implicites dans l'interface sémantique-pragmatique », CORELA, HS-25. Burger M. et Merminod G. 2016. L'expertise dans les discours de la santé : du cabinet médical aux arènes publiques, Lausanne, UNIL.

Campeon A. et al. 2013. Rapport final de la recherche COMPARSE, Comparaison du service rendu à la personne atteinte d'une maladie d'Alzheimer et de l'aidant par trois types de prises en charge (plateforme, accueil de jour et groupe contrôle). EHESP/CHU Nice/Université Lyon 2, Financement de la fondation France Alzheimer.

Cislaru G., Pugnière-Saavedra F., Sitri F. 2012 Introduction. L'analyse de discours dans la société : engagement du chercheur et demande sociale, Honoré Champion, pp.7-21,

Condamines A. et Narcy-Combes J-P. 2015. La linguistique appliquée comme science située. F.Carton, J.-P. Narcy-Combes, M.-F. Narcy-Combes, D. Toffoli Cultures de recherche en linguistique appliquée, Riveneuve éditions, 2015, 978-2-36013-354-3. .

Courtine JJ. 1981. « Quelques problèmes théoriques et méthodologiques en analyse du discours », Langages, 62, 9-127.

Galatanu O. 2018. La Sémantique des Possibles Argumentatifs Génération et (re)construction discursive du sens linguistique, Bruxelles, Peter Lang.

Garric N. et Pugnière-Saavedra F. 2019. « Analyse du discours du vécu de l'aidant du malade d'Alzheimer par une analyse du discours éthique », Mettre l'expérience en Mots. Savoirs narratifs, Chronique Sociale.

Garric, N. 2012. « Construire et maîtriser l'hétérogénéité par la variation des données, des corpus et des méthodes », Langages, 187 : 73-92.

Payet J-P. « L'enquête sociologique et les acteurs faibles », SociologieS [En ligne], La recherche en actes, Champs de recherche et enjeux de terrain, mis en ligne le 18 octobre 2011, consulté le 02 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/3629.

Rapport Caisse Nationale de solidarité pour l'autonomie/Eneis Conseil. Étude de la politique de l'aide aux aidants et évaluation des dispositifs d'aide aux aidants subventionnés par la CNSA au titre des sections IV et V de son budget (octobre 2015), disponible sur : https://www.cnsa.fr/documentation/etude_de_la_politique_de_laide_aux_aidants_et_evaluation_des_dispositifs_daide_aux_aidants_subventionnes_par_la_cnsa_au_titre_des_sections_iv_et_v_de_son_budget.pdf,.

Ploog K., Mariani-Rousset S. et Equoy Hutin S. (dir.) 2018. Emmêler & démêler la parole. Approche pluridisciplinaire de la relation de soin, Presses Universitaires de Franche-Comté, « Linguistique, sémiotique et communication ».