Observer la litéracie émergente chez de jeunes enfants sourds scolarisés en maternelle : position du chercheur et défis méthodologiques.
Laurence Beaujard  1@  
1 : Structures Formelles du Langage
Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis

La recherche présentée porte sur les stratégies privilégiées, lors de leur entrée dans l'écrit, par les très jeunes enfants sourds locuteurs de la langue des signes, en vue d'élaborer une didactique appropriée à ce public. L'étude s'appuie sur un cadre théorique original conjuguant l'emergent literacy (Williams, 2004 ; Joigneaux, 2013) et l'approche sémiologique de description des langues des signes (Cuxac, 2000). Après avoir exposé le protocole méthodologique original mis en place, nous nous centrons sur la question de la position du chercheur sur un terrain aussi délicat qu'une classe d'enfants sourds.


Les complexités de notre protocole méthodologique tiennent d'une part aux spécificités du public concerné, d'autre part au caractère nécessairement multidisciplinaire de l'étude (linguistique, sociolinguistique, pédagogique et didactique). Quatre jeunes enfants sourds profonds de 5 ans scolarisés en grande section de maternelle, sont suivis pendant 7 mois, dans 2 types de classes : une classe bilingue langue des signes française (LSF)-français écrit et une classe de centre médico-social.
Les conditions d'accès de l'enfant sourd à ses langues étant atypiques (pas d'accès naturel à l'input en langue vocale, accès diversifié à une LS), la caractéristique majeure de cette population est sa très forte hétérogénéité linguistique. Ceci implique de prendre en compte un grand nombre de variables : âge d'accès à la L1, naturel ou non (LSF, français oral) ; type de scolarisation ; parents sourds/entendants, signeurs ou non ; origine socio-culturelle. De là le choix de constituer un corpus multiforme mobilisant divers champs disciplinaires : écritures inventées (Fijalkow, 2007), entretiens métagraphiques avec les enfants (David, 2008), entretiens avec leurs parents, observations filmées des activités de classe liées à la lecture-écriture.


Nous discuterons plus précisément des difficultés auxquelles nous avons été confrontée :


- Quelle position adopter, quels sont le rôle et la place d'un chercheur lors d'une observation sur un terrain fragile et polémique ? Jusqu'où aller, notamment, dans les informations que l'on donne aux participants sur les objectifs de recherche ? Nous verrons que l'adhésion des différents acteurs (parents et enseignants) à notre projet a été fortement tributaire des objectifs annoncés.
Où doit s'arrêter notre participation lors de l'observation ? L'accès au terrain et le volet pédagogique nous ont été rendus difficiles par la réticence ou, à l'inverse, l'attente trop forte des acteurs éducatifs. Ceci est lié, selon nous, à un contexte éducatif divisé sur la question de l'enseignement du français écrit, et une situation potentiellement conflictuelle (comparer 2 systèmes éducatifs concurrents).


- Comment articuler nos objectifs de départ et la réalité du terrain (nombreux refus, temps administratif et pédagogique incompatibles avec le temps de la recherche, insécurité linguistique de certains parents réticents à s'entretenir avec nous) ?

Cuxac, C. (2000). La langue des signes française. Les voies de l'iconicité. Paris, Ophrys, Faits de Langues, n°15.
David, J (2008) , « Les explications métagraphiques appliquées aux premières écritures enfantines », Pratiques, 139-140, p.163-187.
Joigneaux, C. (2013). « La littératie précoce. Ce que les enfants font avec l'écrit avant qu'il ne leur soit enseigné », Revue française de pédagogie, n°185, pp 117-161.
Fijalkow, J. (2007). « Invented Spelling in varied contexts. Introduction ». In L1-Educational Studies in Language and Literature, 7, 1-4.
Williams, C. (2004). « Emergent Literacy of Deaf Children ». Journal of Deaf Studies and Deaf Education, 9, 352-365.


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