Sur le mode d'une communication hors les murs, cette intervention vise à problématiser les médiations mises en œuvre dans la recherche en sciences du langage pour l'étude des pratiques sociales ordinaires en milieu urbain. Particulièrement, nous nous intéressons à la balade urbaine guidée, dont on peut notamment avoir des attestations dans la programmation des Musées Gadagne (Musée d'Histoire de la Ville de Lyon). Cette médiation qui se distingue d'autres types de visite (Bossé, 2015) consiste en la réalisation d'un parcours urbain à travers lequel sont thématisées, questionnées et mises en débat des pratiques sociales, politiques et culturelles. Mais, avant de réaliser le parcours avec des publics, les guides opèrent des tris et des sélections leur permettant de programmer un itinéraire à destination de participants dont ils ne peuvent que projeter les implications éthiques (ethos), rationnelles (logos) et affectives (pathos) en amont de la balade : on parle de tel objet ou de tel autre (des graffitis plutôt que des composteurs) en faisant appel à tel ou tel arrière-plan épistémique (des connaissances préalables plus ou moins partagées) et en mobilisant tel ou tel registre discursif (qui familiarise ou qui clive). Dès lors, la balade urbaine met en tension des appropriations individuelles et des appropriations collectives de la ville, entre le fait de rendre propre et le fait de faire sien (Basso Fossali et Le Guern, 2018) un lieu, un discours, un objet, une pratique en interaction.
En se focalisant sur les liens entre pratiques étudiées et pratiques d'étude, on se questionnera sur deux statuts de la balade urbaine. D'une part, il s'agira de montrer la force heuristique de la balade urbaine en tant que méthode d'enquête (Grosjean et Thibaud, 2001) des pratiques langagières et culturelles in situ. En quoi permet-elle d'étudier et de mettre en visibilité des phénomènes que l'on ne saurait appréhender à travers d'autres médiations – documentations audio/vidéo, des photographies, des écrits ? À quel point l'étude des discours et des pratiques langagières dans la ville et sur la ville (Mondada, 2000) en balade urbaine participe-t-elle d'une pratique « augmentée » de la recherche ? D'autre part, il s'agira de problématiser en quoi la pratique de la balade urbaine participe de la formation d'un dispositif de recherche complexe et protéiforme. Sur ce versant, la balade urbaine est une médiation à considérer dans ses relations complémentaires avec d'autres médiations – communications orales dans des séminaires/colloques/congrès, rédaction d'articles, blogs. Dès lors, quels sont les passages à accomplir entre ces modalités de travail ?
On tentera de mettre en lumière les tensions qui agissent sur les pratiques sémiotiques (Fontanille, 2008), entre des usages qui relèvent de normes plus ou moins tacitement partagées et des ruses qui questionnent les relations entre les discours, les objets et les pratiques d'acteurs d'un espace social (Thiburce, 2015-2018). Cette enquête mobile des pratiques langagières se positionnera transversalement aux trois axes du colloque comme une piste pertinente (i) pour mettre en saillance la spécificité des sciences du langage dans le champ des SHS ; (ii) pour tester la fécondité des passages entre des pratiques en théorie et des pratiques en action (résistance d'un paradigme épistémologique aux pressions exercées dans l'enquête) ; (iii) pour favoriser le dialogue entre les acteurs des milieux académique et extra-académique quant aux questions politiques et culturelles qui animent et structurent les pratiques langagières de divers acteurs.
Basso Fossali Pierluigi et Le Guern Odile (dirs.), 2018. L'appropriation. L'interprétation de l'altérité et l'inscription du soi, Limoges : Lambert-Lucas.
Bossé Anne, 2015. La visite. Une expérience spatiale, Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Fontanille Jacques, 2008. Pratiques sémiotiques, Paris : PUF.
Grosjean Michèle et Thibaud Jean-Paul (dirs.), 2001. L'espace urbain en méthodes, Marseille : Parenthèses.
Mondada Lorenza, 2000. Décrire la ville - la construction des savoirs urbains dans l´interaction et dans le texte, Paris : Anthropos.
Thiburce Julien, 2015-2018. Le dialogisme urbain. De l'usage tacite des espaces publics aux formes d'appropriation narrative et affective de la ville, Thèse de doctorat de sciences du langage sous la direction de Pierluigi Basso Fossali, Université Lumière Lyon 2, UMR 5191 ICAR, ED 484 3LA.