Depuis Hippocrate, le secret médical est un devoir professionnel (Thouvenin 1982 : 9-15). Il ne caractérise pas pour autant que le travail des médecins. En effet, l'ensemble des soignants d'une équipe et même d'un hôpital sont priés de le respecter. Nous posons l'existence de deux types de secrets professionnels dans la communauté étudiée : institutionnel et clinique. Chacun a sa spécificité, mais ils s'articulent pour protéger la vie privée des patients. Étant donné ces conditions, comment constituer un corpus de données orales dans un milieu hospitalier où les secrets sont omniprésents et où les soignants doivent continuer leurs tâches alors qu'une chercheuse les observe ? Lors de notre exposé, nous tenterons de répondre à cette question en abordant les versants éthiques de notre recherche et la méthodologie associée à une enquête sociolinguistique dans une unité d'hospitalisation hématologique. Dans un premier temps, nous traiterons des conditions d'accès au terrain et de l'anonymisation de données sensibles (les pathologies des patients et l'identité des soignants, par exemple) ainsi que des critères de constitution du corpus à l'aide d'une observation participante (Baude 2006, Blanchet 2012, Marmoz 2001). Cette technique est primordiale pour comprendre les « paroles lors du travail » collectées, qui ont rarement la structure d'un échange entre deux locuteurs, mais entre une multiplicité. Cette complexité interactionnelle nous permet également d'octroyer une certaine légitimité à notre présence (malgré le paradoxe de l'observateur, mentionné par Labov [1976]) pour répondre, notamment, à la question quel soignant parle avec qui ? (Grosjean et Lacoste 1999 : 60 ; Lacoste 2001). Dans un second temps, nous proposerons une réflexion sur les rôles que nous endossons (interlocutrice et transcriptrice, entre autres) ou que les enquêtés nous attribuent (confidente, voyeuse, évaluatrice, notamment) lors de l'ethnographie. Certes, nous nous positionnons en tant qu'observatrice dans le milieu hospitalier, mais nous jouons d'autres rôles lors de nos interactions avec les soignants ; nous y participons alors activement et explicitement. C'est dans une dynamique de quête de notre place (Geertz 2003 : 217) que nous aborderons la tension méthodologique entre l'importance d'une distance critique et la nécessaire implication personnelle d'un chercheur qui mène une enquête de terrain (Blanchet 2012 : 31 et 48-49 ; Bulot et Blanchet 2013 : 30 ; Morel 2018). Un équilibre entre ces deux aspects est à maintenir, selon nous, pour collecter des données orales en situation et pour légitimer notre démarche de recherche.
Mots-clés : secrets, méthodologie, observateur-participant
Bibliographie
Baude, O. (coord.). (2006). Corpus oraux. Guide des bonnes pratiques. Orléans/Paris : Presses Universitaires d'Orléans/CNRS Éditions.
Blanchet, P. (2012). La linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche ethnosociolinguistique de la complexité (2e éd.). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
Bulot, T. et Blanchet, P. (2013). Une introduction à la sociolinguistique. Pour l'étude des dynamiques de la langue française dans le monde. Paris : Éditions des archives contemporaines.
Geertz, C. (2003). La description dense. Vers une théorie interprétative de la culture. In D. Cefaï (sous la dir. de). L'enquête de terrain. Paris : Éditions La découverte/M.A.U.S.S..
Grosjean, M. et Lacoste, M. (1999). Communication et intelligence collective. Le travail à l'hôpital. Paris : Presses Universitaires de France.
Labov, W. (1976). Sociolinguistique (A. Kihm, Trans.). Paris : Minuit.
Lacoste, M. (2001). Chapitre 13. Quand communiquer c'est coordonner. Communication à l'hôpital et coordination des équipes. In A. Borzeix et B. Fraenkel. (coord.). Langage et Travail. Communication, cognition, action. Paris : CNRS Éditions. 323-342.
Marmoz, L. (sous la dir. de). (2001). L'entretien de recherche dans les sciences sociales et humaines. La place du secret. Paris : L'Harmattan.
Morel, S. (2018). Se défaire du savoir savant. Réflexions autour d'un engagement ethnographique avec les ambulanciers. Genèses. 112. 140-153.
Thouvenin, D. (1982). Le secret médical et l'information du malade. Lyon : Presses Universitaires de Lyon.
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